Détourner Amazon pour aider les plus vulnérables

Salué par la presse, le dispositif inédit et très créatif mis en place par BETC pour l’association l’Auberge des Migrants a consisté à se servir de l’espace de commentaires des fiches produits diffusées par le géant de l’e-commerce pour sensibiliser les Français aux terribles conditions de vie des personnes exilées à Calais.

Le contexte

Apporter une aide alimentaire et matérielle et défendre les droits des personnes en situation d’exil dans la région de Calais sont les missions de l’Auberge des Migrants, devenues encore plus compliquées avec la crise sanitaire. Sans-abris depuis le démantèlement de la jungle en 2016, coincées à la frontière avec le Royaume-Uni, ces populations sont tombées dans l’oubli, et les dons se sont raréfiés. L’hiver arrivant, les besoins devenaient urgents.

Le dispositif

Pour sensibiliser les Français à l’importance de leur soutien à la survie de ces exilés, ces vies invisibles et cachées qui errent pourtant toujours sur place, à Calais, BETC a conçu et mis en place pour l’Auberge des Migrants un dispositif très rusé et fort symboliquement. Il a consisté à détourner la fonctionnalité « commentaire » de différentes pages produits chez Amazon afin d’y exposer les récits de ces personnes et d’inciter au don. Quel meilleur endroit pour tenter d’attirer de nouveau les projecteurs des médias ? « Tout le monde parle d’Amazon, la plateforme n’a jamais eu autant de clients et en ces temps de pandémie c’est là où beaucoup de Français se retrouvent pour acheter toute sorte de produits, de la brosse à dents à la boîte de conserve », explique Matthieu Bouilhot, concepteur-rédacteur chez BETC, responsable de cette campagne. 

Matthieu Bouilhot
Concepteur-rédacteur chez BETC,
responsable de la campagne

Une dizaine d’exilés ayant vécu dans le camp de Calais – et s’en étant sortis depuis – ont accepté de prendre part à l’opération pour expliquer pourquoi chaque produit – des sous-vêtements, une bâche, un paquet de café ou une paire de chaussettes – leur était essentiel. Consultant une fiche produit pour une brosse à dents verte, l’e-consommateur a ainsi appris que Riaz A. laissait la sienne accrochée à un arbre pour ne pas la perdre, tout le monde n’en ayant pas une sur place : « La mienne était vert fluo, utile pour la retrouver quand on l’égare parmi les feuilles mortes ou la boue. Je recommande », indique-t-il sur son commentaire. 

Grâce à ces commentaires, placés en première position dans les fiches produits, la campagne a ainsi réussi à faire émerger une nouvelle facette, jusque-là sans doute inconnue pour une majorité des Français, de plusieurs dizaines de produits de leur quotidien. De plus, en cliquant sur le profil des auteurs de chaque commentaire, on pouvait découvrir leur récit de vie, les autres objets commentés et un lien vers une « liste d’envies », qui n’est autre qu’une sélection de produits essentiels à la survie des exilés gérés par l’Auberge des Migrants. « Ce travail nous a également permis de nous rendre compte que notre a priori au sujet de ces populations est erroné. Parmi les dix exilés qui ont accepté de participer à cette opération, je peux vous citer un vétérinaire, un pilote d’avion, un infirmier et même un tailleur, tous aillant vécu la réalité du camp », explique Matthieu Bouilhot.

L’objectif du dispositif était surtout d’attirer l’attention des médias : c’est pourquoi après le détournement d’Amazon, une vidéo explicative et un communiqué de presse ont lancé l’opération. L’association ne disposant d’aucun moyen pour mettre en place l’achat média, seule une campagne innovante, audacieuse et surtout touchant à des sujets aussi forts pouvait espérer générer de l’impact dans la presse.

Résultats et perspectives

En seulement deux jours, le retentissement était au rendez-vous aussi bien au niveau national que local, avec des retombés sur la presse (Le Monde, Nouvel Obs, Mediapart, La Voix du Nord…), la radio (France Inter) et la télé (France 3, BFM). L’impact en dons a été tout aussi vertigineux avec des camionnettes débarquant à l’Auberge des Migrants plusieurs fois par jour et plusieurs jours de suite remplies de… colis Amazon. Enfin, les virements seraient en hausse sur le site de l’association.

« Nous avons dû jouer au chat et à la souris avec Amazon pour réussir à créer ces comptes et à diffuser ces commentaires et ça en a valu vraiment la peine ! », conclut Matthieu Bouilhot.

Luciana Uchôa-Lefebvre