Ralentissons le rythme !

Alexandre Drouillard, le directeur de la création d’ici Barbès, explique pourquoi les marques devraient prendre la parole moins souvent qu’elles ne le font aujourd’hui

Quels sont aujourd’hui les éléments indispensables pour qu’un contenu « parle » véritablement aux gens et fasse émerger une marque, un message ou une cause ?

Je vois trois éléments indispensables : l’histoire que l’on raconte, la qualité de l’exécution et la rareté.

Je suis convaincu qu’il n y a pas de bonne campagne sans une belle histoire à raconter. Comme pour une chanson que l’on aime, il faut qu’on ait l’impression que la campagne a été écrite pour nous, qu’on la ressente émotionnellement dès le premier contact.

La qualité de l’exécution est un deuxième élément indispensable. Aujourd’hui, l’internaute lambda scrolle 90 mètres de contenus par jour… Pour que son doigt s’arrête sur l’image, il faut que l’exécution de cette dernière soit exceptionnelle.

Enfin, la rareté… On parle tous tout le temps. C’est comme si on se trouvait dans une pièce fermée où toutes les personnes parlaient en même temps sans s’arrêter. Qui est en mesure d’écouter dans une telle situation ? Le brand content et la publicité doivent arrêter cette course effrénée au contenu et se concentrer sur la diffusion du bon message un peu moins souvent. Cela nous libérerait du temps et du budget pour faire des choses bien plus qualitatives. Il est vrai que l’on est tenté de continuer de faire comme ses voisins : poster tout le temps et à grande vitesse. Mais je crois vraiment que la rareté crée de la valeur pour le contenu de marque. Il faut par conséquent parler moins, réfléchir plus et bien choisir ses temps de parole.

Vous avez parlé à la fois de publicité et de brand content. Qu’est-ce qui les différencie ? 

Le brand content est la publicité douce. C’est moins frontal que la pub. Les consommateurs rejettent aujourd’hui la publicité trop directe. Le brand content permet de créer des contenus associés à des marques mais de manière beaucoup plus subtile.

Vous avez évoqué l’importance de raconter une belle histoire. Or, quand il vient vous voir, l’annonceur a des objectifs précis et pragmatiques. Comment trouver alors cette belle histoire ? 

Dans toute ma carrière, je ne me suis jamais retrouvé face à un client qui n’avait pas des histoires à raconter. Il suffit de l’écouter : il a toujours des choses intéressantes à dire, qu’il ne remarque souvent même plus d’ailleurs.

Quelles contraintes notre réalité multicanale et hyper connectée impose-t-elle aux créateurs ?

Cela nous oblige à être excellents. Il est tout simplement très difficile de concevoir un contenu qui se démarque des autres aujourd’hui. Le « juste bien » ne suffit pas. Beaucoup de gens font du « juste bien ». Pour émerger, il faut être exceptionnel tous les jours.

L’agence doit être excellente mais il faut également que son client ose acheter des idées ambitieuses, avec des partis pris forts.  Même dans la cacophonie dans laquelle nous vivons aujourd’hui, certains contenus arrivent à faire le tour du monde. Cela prouve qu’il existe encore des idées universelles, des grandes idées. Ce qui nous sauve est bien la recherche de la grande idée. C’est le cap que nous devons nous fixer chaque jour. Pour cela il faut savoir accompagner son client et le mettre en confiance.

Notre métier fait partie de la culture populaire. De nombreux slogans publicitaires sont rentrés dans le langage quotidien. Nous avons par conséquent la responsabilité de produire de la qualité pour contribuer à créer cette pop culture. Là encore la notion de rareté prend tous son sens. Qui ne se souvient pas des spots des années 1980, en tout cas ceux qui étaient enfants à ce moment-là ? La raison est qu’il y en avait beaucoup moins.

Pouvez-vous nous donner un exemple récent qui illustre cette excellence ? 

Un court métrage sponsorisé par Dove aux États-Unis [le découvrir ici] a été primé aux Oscars cette année. Dans ce film, Dove met en avant des produits conçus pour les cheveux des afro-américains, mais de manière douce, pas frontale. La manière dont ce film a été relié à la marque est géniale.  L’approche créative et stratégique est excellente : ils ont décroché un Oscar pour une « presque pub », en prenant un chemin de traverse pour faire émerger un contenu spécifique. C’est assez remarquable.

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre.