Une marque qui fait du podcast raconte autre chose qu’elle-même 

Le développement de l’écoute de podcasts en ligne s’est accompagné de l’essor d’une nouvelle forme de brand content : le podcast de marque. Soraya Kerchaoui-Matignon, directrice de contenus de marque chez Binge Audio, nous en livre toutes les clés.

Peut-on parler du boom du podcast de marque ?

Oui incontestablement, le boom du podcast de marque est une conséquence de l’envolée de l’écoute de podcasts (un sondage récent de l’institut CSA pour Le Parisien indique que 5 millions de Français écoutent des podcasts chaque semaine). Au lancement de Binge Audio, en 2015, il n’y avait pas d’émission de marque. Aujourd’hui, nous en diffusions plus d’une centaine. En janvier 2019, nous enregistrions chez Binge Audio un million d’écoutes mensuelles ; nous sommes déjà à 1,5 M (ACPM juillet 2020).

Qu’est-ce qui caractérise le podcast comme nouveau territoire des marques ?

Les annonceurs et les agences cherchent à mettre en place de nouvelles stratégies de communication où priment transparence et authenticité. La raison est que la société a changé, les individus ne consomment plus comme il y a vingt ans. On achète aujourd’hui de façon consciente, réfléchie, informée. De plus, les marques ne savent pas toujours très bien comment toucher les nouvelles cibles jeunes, l’écart entre ces audiences et les groupes du CAC 40 est devenu trop important. Le podcast peut répondre au besoin des marques de repenser leur communication en intégrant les nouveaux modes de vie et de consommation de leurs cibles. De plus, ce format leur offre l’authenticité à travers le discours et à travers la voix, vecteur d’émotion et d’intimité. Mais à condition de s’y prendre autrement.

Soraya Kerchaoui-Matignon

Soraya Kerchaoui-Matignon Directrice de contenus de marque chez Binge Audio Connect

Comment ?

Les marques doivent oser se détacher de leurs éléments de langage, oser aborder des sujets progressistes, oser leur mea culpa… et surtout accepter de ne plus s’auto-promouvoir. Elles doivent chercher le sujet, l’angle intéressant, en se mettant à la place des auditeurs et des auditrices. Chez Binge, nous adoptons une démarche empirique et empathique sachant que la clé du succès se trouve dans la puissance du concept, dans son originalité.

 

Pouvez-vous nous en donner un exemple ?

Les équipes de Hepar souhaitaient faire parler leurs experts pour positionner la marque comme référence sur les questions liées au transit intestinal. Nous leur avons expliqué qu’il ne fallait pas tout à fait se prendre comme cela. Il fallait plutôt chercher un concept fort, un juste milieu entre les enjeux de la marque et l’intérêt du grand public à écouter un programme. Nous avons alors conçu la série « Chroniques de l’intérieur », signée par la marque, avec Binge comme producteur délégué. Le format était hybride : cinq minutes de fiction, cinq d’éclairage avec un expert qui vient décortiquer la fiction. Pourquoi le personnage a-t-il des difficultés au lit ? Pourquoi est-il stressé en soirée ? De nombreuses études abordent les conséquences de ce sujet très tabou – la constipation – sur la vie sexuelle, sociale et sur le stress. Notre série est venue renseigner les gens pour déconstruire ce tabou sans jamais parler de l’eau Hepar.

Où est la frontière entre la publicité et le journalisme dans le podcast de marque ?

On choisit d’écouter un épisode parce que le sujet est intéressant, c’est une démarche consciente. C’est pourquoi une marque qui décide de faire du podcast vient raconter autre chose qu’elle-même. Pour cela, elle doit choisir un sujet. Twitter souhaitait casser un peu cette image négative qui lui colle à la peau en montrant que beaucoup de contenus et situations très positives circulent dans la plateforme. Ils nous ont laissé carte blanche pour cela. Ce sont nos journalistes, nos auteurs et auteures qui trouvent l’angle et produisent le sujet. Un contenu promotionnel ne marche pas en podcast. Il faut vraiment faire confiance à l’intelligence de l’auditeur : personne n’est dupe et on ne dupe personne.

 

Mais dans cet exemple, il s’agissait de montrer une réalité plutôt positive, en faisant appel à de journalistes pour produire un contenu de marque. Où est la frontière entre information et communication ?

Il ne faut jamais mentir à ses audiences, raison pour laquelle les logos sont exposés, la journaliste le précise et nous annonçons au tout début de l’émission qu’il s’agit d’une émission coproduite avec la marque. Mais le fait est que le niveau d’écoute très élevé que nous constatons sur les contenus coproduits avec les marques prouve que l’intérêt suscité par le sujet dépasse de loin la réticence à la marque lorsque celle-ci existe. La frontière entre information et communication n’est par conséquent pas floue, elle est fondue. Il nous faut raconter une histoire et il faut que la communication disparaisse au profit du sujet, que nos audiences soient enrichies intellectuellement et émotionnellement.

Qui écoute le podcast de marque : le fan de la marque ou de nouvelles audiences ?

Ce sont de nouvelles audiences qui cliquent dessus parce que le sujet les intéresse. Une étude CSA-Havas Paris indique que 74 % des auditeurs de podcast natif déclarent que le podcast de marque leur a permis de découvrir la marque. C’est donc la preuve qu’il ne s’agissait pas de fans de la marque.

 

À quelles stratégies ce brand content peut-il répondre ?

Le podcast est un format de longue traîne qui répond à une logique de fidélisation sur le long terme où l’on va chercher à placer un sujet plutôt qu’une marque. On peut également s’en servir dans le cadre d’une stratégie de changement d’image : cela peut très bien fonctionner, à condition de le faire avec authenticité et sincérité.

 

Quels sont le modèles de production de podcast de marque de Binge Audio ?

Trente marques travaillent avec nous actuellement. Nous avons trois formes de collaboration. La première est la coproduction, que l’on appelle « partenariat ». Nous concevons et produisons l’émission avec la marque et nous la diffusons avec la signature Binge Audio. Cela implique que la marque nous laisse souverains pour développer la ligne éditoriale. Notre ligne éditoriale est progressiste et émancipatrice, elle ne doit pas décevoir nos audiences (80 % sont âgées de 18 à 35 ans) même lorsqu’ils il s’agit de contenu de marque. Et c’est justement ce qui séduit les annonceurs. Le deuxième modèle est la production en marque blanche : nous concevons, produisons et diffusons pour la marque tout en nous effaçant, nous n’apparaissons dans ce cas que dans les crédits en tant que producteurs délégués. Ici, notre accompagnement éditorial reste le même : nous proposons un contenu original qui fasse le pas de côté par rapport aux sujets existants sur le marché du podcast. Le troisième modèle est celui du contenu embarqué : les marques intègrent les flux de nos émissions à travers des hors-séries. Il faut là encore laisser carte blanche à la rédaction du programme.

Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre