Si vous avez suivi la BCMA au cours de ces quinze dernières années d’activité, vous savez que le storytelling de marque et que le contenu et divertissement de marque sont essentiels à l’interaction avec les utilisateurs finaux.
Vous savez probablement aussi que l’efficacité du brand content et de l’entertainment (BC&E) a beaucoup plus à voir avec les valeurs de la marque qu’avec les ventes ou la génération de leads.
Pour les entreprises qui ont des valeurs à partager, communiquer avec des cibles actives et conscientes est un atout majeur mais également un grand défi.
C’est probablement la raison pour laquelle les campagnes engagées sont récemment devenues une tendance dans la publicité et que certaines entreprises mondiales deviennent les promotrices de « visions » ou mouvements culturels diffusés sur de larges plateformes, comme « Ecomagination » de GE, le Plan A de M&S et le Plan Unilever pour un mode de vie durable (USLP).
Communiquer devient une opportunité pour les marques de partager leurs convictions. En 2017, Dentsu Aegis a constaté que les campagnes engagées ont été pour la plupart victorieuses à Cannes ces cinq dernières années, remportant à la maison 29 % des Grands Prix ou des Palmes d’or au cours des derniers quatre ans, avec une augmentation significative en 2017, où près de 50 % des récompenses ont été remises aux campagnes engagées.
Elena Grinta, Professeur à l’université de Milan – Fondatrice de EG Media Start-up innovative et éditrice de BeIntelligent
En 2017, les entreprises ont pris la tête (par rapport aux organisations à but non lucratif) dans la création de campagnes engagées, tant en termes absolus que relatifs, les entreprises créant désormais davantage d’œuvres primées portant sur une cause majeure. Cette tendance s’est confirmée en 2018 : près de 60 % (15 sur 27) des Grands Prix de Cannes ont été attribués aux campagnes portant sur des engagements.
C’est probablement pour cette raison que l’édition 2018 du Cannes Lions incarne l’attention du festival aux causes environnementales et sociales à travers le lancement d’une nouvelle catégorie : le prix des objectifs de développement durable. Dans cette catégorie, sur 20 campagnes gagnantes, 11 ont été réalisées par une entreprise (pas une ONG !) : quatre prix ont été attribués à Carrefour pour « Black Supermarket », un à Enel Romania pour « The Nest Address » (Life on Land), un à P&G pour « The Talk », un à Kelloggs pour « Uniform against malnutrition », un à Fazer pour « Cricket » et un à Ikea Italie pour « The Room » pour n’en nommer que quelques-uns.
Cela signifie simplement que de plus en plus de marques sont déterminées à prendre position, en déclarant à haute voix leur opinion au sujet de ce qui les entoure, en décrivant la réalité telle qu’elle est, et en assumant la responsabilité de résoudre un problème (quelle que soit sa taille) qui affecte le consommateur/citoyen.
Certaines de ces campagnes ont remporté les catégories les plus importantes – Film (The Talk) et Efficacité créative (Savlon Healthy Hands Chalk Sticks) – pour la première fois, en mettant davantage l’accent sur l’impact social que sur les résultats business de l’entreprise.
Mais qu’y a-t-il de commun entre développement durable et BC&E ? Ok, regardons les lauréats du Grand Prix de la catégorie BC&E aux Cannes Lions, depuis sa création. Les gagnants du Grand Prix 2012 ont été la chaîne de restaurants mexicains basée aux États-Unis, Chipotle, et sa campagne « Cultiver » ; Intel et Pereira & O’Dell ont remporté le prix en 2013 pour « The Beauty Inside » ; (aucun Grand Prix n’a été décerné en 2014 et 2015). En 2016, « The Displaced » pour New York Times VR, par Vrse ; 2017 c’était « Beyond money » de Santander, et cette année, les campagnes Evert_45 de KPN ont reçu le Grand Prix de l’Entertainment.
Dans tous ces exemples, les marques mettent leur engagement environnemental/social au centre de leur stratégie marketing. Elles ont transformé leur propre « structure de marque » en un « engagement » pour établir une connexion plus profonde avec les consommateurs.
Mais il existe un inconvénient potentiel pour les marques qui se lient à d’importantes questions sociales. Certaines campagnes peuvent être perçues comme une sorte de « SOUL WASHING », une tentative pour les entreprises de « laver leur propre conscience » et de distraire les consommateurs de leur absence de responsabilité sociale/environnementale. Regardez l’échec épique de Chipotle qui, après avoir fait l’éloge de l’agriculture durable, a dû gérer une pandémie d’E-coli et un effondrement de sa réputation, qui n’a toujours pas été reconstruite au fil des ans depuis cette crise.
« Avec un nombre croissant d’entreprises qui en font un objectif de leur marketing, les consommateurs deviennent naturellement un peu sceptiques – en particulier lorsqu’il n’y a pas de frontière claire entre la marque et sa cause » (Charlotte Rogers, Marketing Week).
Pour communiquer son objectif et sa détermination, l’entreprise doit adopter une stratégie marketing basée sur les critères éthiques de vérité et de transparence.
Selon Keith Weed, directeur marketing et communication d’Unilever : « L’engagement doit être au cœur de la marque, conduire tout ce qu’elle entreprend. Cela ne peut être un module complémentaire ou quelque chose qui va et qui vient selon l’envie ou le budget. C’est cette authenticité que les consommateurs reconnaissent et récompensent, car aujourd’hui ces derniers, et en particulier la génération Y, peuvent reconnaître le baratin à des kilomètres. »
Et cela même s’il est à saluer le fait que les entreprises veuillent apporter leur réflexions à l’attention du public (Dentus Aegis a constaté qu’« il existe un ensemble clair de causes privilégiées que les entreprises adoptent : des campagnes engagées autour des thèmes de l’environnement, de la diversité, de la santé et du bien-être social représentent 70 % de toutes les candidatures gagnantes »).
Il existe en effet une prolifération de « campagnes engagées » créées pour des entreprises qui ne sont pas réellement confrontées à des changements radicaux en termes de développement durable à long terme.
En plaçant la responsabilité au centre de leurs campagnes, ces marques s’exposent au risque d’être fortement critiquées. Pour les marques des produits de consommation qui essaient finalement seulement de vendre plus de produits, ce risque de « monétiser » les valeurs humaines est très élevé.
L’adoption de communications socialement responsables ne peut être une réponse opportune à un comportement en réalité abusif : il n’est plus toléré de communiquer au sujet des bons côtés de l’entreprise, si son activité principale nuit (en partie, d’une manière ou d’une autre) à l’humanité.
Les violations de l’ethos, qui supposent une collision entre l’imaginaire créé et communiqué et la réalité des faits, peuvent impliquer d’énormes et parfois d’irréversibles dégâts pour l’entreprise tout entière.
La responsabilité et l’attention accrues que les consommateurs accordent désormais à l’éthique de la marque peuvent représenter une menace et un risque pour les entreprises qui ne joignent pas le geste à la parole.
« À l’époque où les entreprises étaient des boîtes noires, la marque était seulement (d’accord, principalement) tout ce qui était peint à l’extérieur. Maintenant que les entreprises sont des flacons en verre, la marque est tout. Chaque personne. Chaque processus. Chaque valeur. Chaque chose qui arrive, toujours » (David Mattin, PDG, Trendwatching).
Et cela représente également un problème éthique pour l’industrie de la publicité : dans un récent article sur la Creative Review, Naresh Ramchandani, un rédacteur publicitaire influent, a demandé à l’ensemble de l’industrie s’il était maintenant temps d’introduire une exclusion similaire à celle imposée aux cigarettes, sur les produits qui nuisent à notre planète, en déclarant :
« En étant lourds en production industrielle, fortement générateurs de CO2, non réutilisables ou non recyclables, la plupart des produits que nous sommes payés pour promouvoir ont un impact négatif sur l’environnement. Lorsqu’une publicité vend encore un de ces produits, elle améliore la rentabilité de ses clients, mais nuit aux perspectives de l’humanité. Ceci nous amène à une vérité extrêmement gênante pour notre industrie qui n’a pas été soulevée à Cannes – en fait, je ne suis même pas sûr de l’avoir vue quelque part : que pour de tels produits il ne devrait pas y avoir d’autorisation pour faire de la publicité. »
Cela ne signifie pas que les campagnes engagées ne peuvent être bien faites.
Regardez Patagonia, une marque de vêtements de sport bien connue avec près de 1 300 personnes, fondée dans les années 1970 par Yvon Chouinard, un exemple d’« empreinte humaniste ». En 2011, lors du Black Friday, Patagonia a lancé aux consommateurs « N’achetez pas cette veste », un slogan révolutionnaire et à contre-courant, qui promouvait une consommation responsable, à la suite de la campagne de « désintoxication » de Greenpeace visant à décourager l’utilisation de produits toxiques (DWR, PFOA) dans l’industrie du vêtement d’extérieur.
En attendant de trouver une alternative valable au polymère C8 hautement polluant utilisé comme imperméabilisant, la société de Chouinard a découragé l’achat (et donc la production) de vêtements neufs.
Pour soutenir sa campagne imprimée, Patagonia a promu « Les histoires que nous portons », une plateforme de contenus qui a renforcé le message pour une consommation responsable. Même si Patagonia est relativement nouvelle dans le brand content, sa stratégie de contenu a été conçue dans cette vision durable depuis le début.
Dans « L’entreprise responsable », Chouinard propose plusieurs exemples de comment diriger avec succès son activité sans causer de dommages à la terre, en déclarant : « Je n’ai jamais voulu être dans les affaires », dit-il. « Mais je m’accroche à Patagonia parce que c’est ma ressource pour faire quelque chose de bien. C’est une façon de démontrer que les sociétés peuvent mener des existences mesurées. »
Le rôle fondamental de Chouinard pour démontrer l’importance d’intégrer le développement durable au business et indéniable ainsi que son caractère essentiel au succès : les recherches d’Edelman montrent que « 79% des consommateurs s’attendent à ce que le PDG d’une entreprise soit personnellement visible lorsqu’il partage son engagement et sa vision »; il est donc extrêmement important que le PDG prenne position sur les questions sociales.
Ils devraient aussi clairement être les moteurs du développement durable au sein de chaque organisation, comme l’ont montré The Drum et l’Agence mondiale de marketing B2B dans leur récente analyse « Mind the gap : how marketers feel about sustainability ».
La première étape pour être crédible aux yeux des parties prenantes est de promouvoir des projets et des décisions étroitement liés à l’humain, le second est de promouvoir des valeurs au cœur même de l’entreprise et de son ADN. De nombreuses entreprises sont en train de démontrer qu’elles disposent des ressources et du leadership nécessaires pour faire la différence dans une société mondialisée où les problèmes semblent augmenter.
Les « jeux de pouvoir » des partis politiques ne permettent pas aux gouvernements d’être suffisamment forts et crédibles aux yeux des citoyens ni d’être capables de résoudre des urgences universelles, de la pauvreté aux problèmes environnementaux.
Le moment est venu pour les marques d’y intervenir.
Elena Grinta est professeur à l’Universitè de Milan, elle a fondé EG Media Start-up innovative, editeur de BeIntelligent, magazine pour les consommateurs et les entreprises conscientes.
https://www.beintelligent.eu/ Elle est auteur du livre Branded Entertainment et a fondé l’association membre italienne, Osservatorio Branded Entertainment (OBE) en 2013. Elle est considérée comme un penseur clé de l’industrie et évangéliste sur des sujets de communication de contenu de marque internationale.
Texte traduit de l’anglais par Luciana Uchôa-Lefebvre