La quatrième révolution industrielle

Ce n’est pas exagéré de dire que les quinze premières années d’existence de la Branded Content Marketing Association (BCMA) ont été témoins de la transformation la plus importante de la communication de masse survenue en plus d’un siècle.

Après tout, c’est l’époque où les pratiques marketing ont été transformées par le tourbillon de l’innovation, la technologie numérique façonnant sa propre forme de brand content. Data marketing, cartes de fidélité, pages de marque, SEO, médias sociaux, chaînes de diffusion restreinte, médias personnels, à la demande, expérience utilisateur (UX), réalité virtuelle, augmentée et mélangée, chat bots, recherche vocale et reconnaissance faciale.

L’industrie de la communication s’est approprié toutes ces innovations, devenues autant de points de contact de marque. En fait, les modèles des médias sociaux indépendants les plus réussis tels que Facebook, Youtube et Spotify ont su intégrer le contenu de marque comme leur propre moyen de devenir commercialement viables à l’échelle mondiale.

Paul Springer

Paul Springer
Directeur de la School of Communication Design, School of Writing and Journalism
Université de Falmouth

Le contenu de marque a également réussi à se reproduire sur une plus grande variété de pratiques de communication. De l’industrie des modes de vie et des loisirs à l’industrie immobilière, les grandes marques et les célébrités sont devenues les aimants d’adeptes et les miroirs dont d’autres produits et services ont bénéficié, grâce aux associations tierces. Les canaux médiatiques personnels des stars du sport, de la musique et du cinéma, en particulier, sont devenus des espaces de marque de premier plan – très loin des sites web de marque qui jouaient encore un rôle important au moment de la création de la BCMA.

De nouvelles industries telles que le social et l’adtech se sont formées pour interpréter les tendances comportementales et les grands ensembles de données et pour recibler les messages de marque sur les meilleurs spots des espaces médiatiques personnels des célébrités de la musique et du divertissement. Ces développements ont pris forme lorsque la séparation entre le publireportage, le contenu sponsorisé et les actualités a commencé à s’estomper.

Retour en arrière : considérations sur le brand content en 2003

Plusieurs livres ont exprimé les points de vue de l’industrie de la communication au sujet des opportunités et des risques posés par les technologies numériques au moment de la création de la BCMA, en 2003.

Parmi ceux qui proclamaient des opportunités, il y a eu celui de Garth Hallberg, alors vice-président de l’agence de marque Ogilvy Direct. Son livre All consumers are not created equal: differential marketing strategy for brand growth and profits (1996, J Wiley, NY) suggérait que tous les environnements présentaient désormais des opportunités de branding à 360°, tout comme les bases de données clients détenues par les entreprises.

Hallberg a su prédire que les données seraient exploitées pour cibler des clients ayant manifesté un intérêt pour des produits ou services en particulier. À l’époque, plusieurs marques automobiles ont transféré leurs budgets marketing vers le marketing relationnel.

Des marques telles que Land Rover organisaient des journées d’aventures réservées aux membres pour les propriétaires existants et potentiels de Land Rover, tandis que Mini ciblait de nouvelles opportunités de communication entre le point d’achat, la fabrication et la livraison afin que les clients puissent personnaliser les spécifications de leur nouvelle voiture.

Le livre du président de TBWA, Jean Marie Dru, Beyond disruption (2002, J Wiley, NY) est allé plus loin en englobant un large éventail de médias placés à tous les niveaux autour des consommateurs individuels, afin que les habitudes et l’attention soient d’abord interrompues, pour seulement ensuite cibler des points d’intérêt connus.

Le programme de fidélité Reward Card de la chaîne de supermarché Tesco incarnait la façon dont les marques pouvaient utiliser les données d’achat pour personnaliser les mailings de marque. L’histoire de ce programme de fidélisation pionnier a été décrite par ses créateurs Clive Humby et Terry Hunt dans le livre Scoring points (2003, Kogan Page London). Brand lands, hot spots and cool spaces de Christian Mikunda (2002, Redline Wirtschaft bei Ueberreuter, Francfort) est allé plus loin en revendiquant les environnements de marque comme un « troisième lieu » – online et offline –où les liens émotionnels sont le mieux forgés avec les clients. Les marketeurs, a observé Mikunda, ont accès à l’esprit et au cœur – « Associer de l’émotion à l’envie de se divertir et mettre le client de bonne humeur est la clé pour attirer les ventes ».

Un autre ensemble de publications a quant à lui décrit la menace que les communications numériques représentaient pour l’industrie de la publicité et du marketing. En particulier, l’ouvrage de Al et Laura Ries, La pub est morte : vive les RP ! (2002, HarperCollins, NY), et celui du directeur marketing de Coca-Cola, Sergio Zyman, The end of advertising as we know it (2003, HarperCollins NY) ont émis l’hypothèse que les revenus des médias de masse passeraient aux communications ciblées plus récentes.

Pire encore – dans Permission marketing (1999, Simon & Schuster, NY), Seth Godin anticipait un paysage numérique où les téléspectateurs seraient payés pour voir des publicités, ce même enjeu est présent dans la question du contenu en ligne gratuit face aux bloqueurs de publicités.

Parallèlement à ces considérations au sujet du futur du paysage numérique, de nouveaux rôles du contenu de marque ont émergé. Les années 2003-2018 ont vu apparaître un nouveau type de spécialiste de marque, mieux positionné pour exploiter une compréhension plus approfondie des comportements des clients, basée sur les données, et de nouvelles façons d’atteindre les clients via les médias personnels.

Par exemple, le fabricant Britvic a introduit un « brand guardian » pour sa marque de boissons Tango pour diriger des campagnes de marketing de manière plus itérative et en temps réel.

Au fur et à mesure que les marques lançaient leurs propres sites web et s’abonnaient à des sites de médias sociaux, elles communiquaient entre pairs avec les clients, ce qui a rendu nécessaire une nouvelle catégorie de spécialistes dont la responsabilité est de nourrir l’essence de ce que l’on appelle souvent « l’ADN de la marque ».

Les franchises cinématographiques ont également employé des gardiens de marque, tenus de négocier avec les annonceurs et de rassembler un réseau partageant des valeurs similaires, avant de commander des scripts autour des marques partenaires.

Grâce à de tels rôles, les communications de marque font désormais partie du tissu du divertissement de masse.

Entre 2003 et 2018, des étapes clés du brand content

Il est encore difficile de comprendre l’ampleur des changements qui ont eu lieu depuis la création de la BCMA.

La chronologie de la relation entre les marques et les consommateurs dans le tableau 1 (ci-dessous) montre comment la communication de marque a migré au fil des années pour englober les nouvelles technologies et une nouvelle réflexion sur un contenu efficace. Ces étapes clés s’inscrivent dans le contexte des nouveaux rôles des spécialistes, des nouveaux médias et d’une meilleure compréhension du comportement d’achat individuel.

La série de projets de marque caractérise la manière dont le contenu de marque a surfé sur la marée en explorant le potentiel des logiciels émergents.

BCMA

Table 1: Chronologie des étapes clés du brand content 2003-2018

Des projets tels que « Subservient chicken » de Burger King, qui était au départ un projet d’émission secondaire et qui a réussi à recueillir 459 millions de visites sur le site, ont démontré l’importance pour les marques de toucher leurs clients à des moments pertinents – pour Burger King, c’était l’heure du goûter – et à des lieux pertinentes dans l’univers connecté.

La campagne Dove pour la vraie beauté – la première campagne à présenter une URL comme slogan – a revendiqué une cause et soutenu l’association synonyme de Dove en mettant en relation des réseaux, des événements et une activité d’assistance centrée sur la marque, principalement en ligne.

Lorsque le film « Des serpents dans l’avion » a été lancé en 2006, sa société de production New Line Cinema a canalisé l’esprit du crowdsourcing en créant un message promotionnel lu par la star du film Samuel L Jackson, qui pourrait être cocréé. Le message de Jackson pouvait être téléchargé, personnalisé et retransmis, ce qui s’est avéré utile dans la campagne de sensibilisation et a incité le public à voir le film.

L’avènement des systèmes de positionnement global (GPS) et des technologies mobiles personnelles a permis de former des réseaux en ligne autour d’intérêts et de causes partagés. Les marques ont pu adopter cela, et des marques telles que Nike, Apple et Google ont pu tirer parti de la technologie pour créer des communautés soutenues par les marques.

Le potentiel de la réalité augmentée et les habitudes de visionnage sur un deuxième écran ont encouragé les annonceurs à considérer comment la superposition de la réalité mélangée, la diffusion, les médias sociaux et les formats de jeu étaient des espaces pertinents pour le contenu de marque.

Les spécialistes des médias tels que Disney ont embrassé la portée de l’engagement de la marque à travers de nouveaux environnements interdépendants de la diffusion, tandis que les spécialistes de la recherche en diffusion Thinkbox et Twitter ont collaboré sur des émissions de téléréalité, utilisant ce qu’ils ont appelé de « moments avant-gardistes » pour rediriger les spectateurs vers les sites sociaux des marques.

Ces entreprises ont utilisé la portée des émissions de téléréalité pour générer du trafic vers des microsites proposant un contenu supplémentaire qui a amélioré l’expérience de visionnage. De telles initiatives ont incité d’autres médias traditionnels tels que la presse écrite à repenser la façon dont ils adoptaient le contenu de marque : le contenu créatif du Wall Street Journal pour la série de télé-réalité de Netflix « Narcos » s’est avéré une puissante référence pour les autres médias de masse dans l’adoption des capacités des espaces d’information numériques.

Les améliorations apportées à la gestion des ensembles de données volumineuses ont rendu possible une nouvelle veine d’engagement pour le contenu de marque. Des sociétés adtech telles que RhythmOne ont pu recibler les messages de marque de manière mieux informée, sur la base d’expressions d’intérêt cliquables, en utilisant les données cumulées via les messageries transmises.

Le potentiel de croissance du contenu programmatique de marque peut être limité par l’introduction du Règlement général sur la protection des données (2018). Cependant, la transparence des données et les changements d’attitude à l’égard de la valeur des données personnelles, à mesure que les notions de possession et de location de musique ont changé, peuvent en fin de compte améliorer les relations marque-consommateur.

La recherche vocale est devenue le dernier seuil où le potentiel du contenu de marque est exploré grâce à des projets et des partenariats innovants. Tout comme les marques ont pivoté pour embrasser l’innovation médiatique comme une opportunité, la BCMA continuera de jouer un rôle clé dans la promotion des pratiques des pionniers des communications.

 

Le professeur Paul Springer est directeur de la School of Communication Design, School of Writing and Journalism de l’université de Falmouth. Il est écrivain et éducateur en innovation dans les communications numériques. Son travail porte sur la publicité et les approches innovantes de la communication de masse, en particulier le partage des meilleures pratiques et les moyens de former les futurs talents en communication. Paul Springer a écrit trois livres sur les pratiques médiatiques pionnières. Il a été consultant principal pour la première école spécialisée en communication d’Arabie saoudite.

Texte traduit de l’anglais par Luciana Uchôa-Lefebvre.