Nous abordons une réalité faite plus d’interrogations que de certitudes

Solène Madec, fondatrice et CEO de Belle, nous donne sa vision de la communication en cette période de crise. Son agence a eu l’initiative d’aider les entrepreneurs, start-up et jeunes entreprises en difficulté, en mettant à leur disposition ses talents pendant quelques jours.

Le brand content peut-il aider à sortir de la crise ?

Dans cette phase de redémarrage, le brand content peut de fait jouer un rôle très important pour permettre aux marques de se reconnecter avec leurs consommateurs. Mais il faut être attentif. L’exercice publicitaire en cette période est périlleux. Le Covid ne peut être un « nouveau brief », comme certains ont tendance à le penser. Le Covid, ce n’est pas une occasion de communication, mais une énorme crise sanitaire et humaine. Les marques à l’origine des campagnes les plus pertinentes pendant cette crise sont celles qui disposaient déjà d’une communication suffisamment robuste avant la pandémie. Je pense, par exemple, à Orange et sa campagne « on reste ensemble » faisant écho à sa plateforme de marque « vous rapprocher de l’essentiel », ou alors à Ikea et la notion d’être bien chez soi, tout cela est cohérent.

Solène Madec – Fondatrice et CEO de Belle

Quoi faire ou ne pas faire ?

Il faut être sûr d’être sincère et cohérent. Il ne faut pas vouloir adopter un visage nouveau pour coller avec l’époque. Il faut se positionner davantage dans le domaine des actes et des faits que du discours. Decathlon n’a pas été le premier à communiquer sur les masques que l’enseigne a livrés aux centres hospitaliers ! Les assureurs et les banques qui ont su faire preuve de solidarité, par exemple en couvrant des risques qui n’étaient pas prévus ou en facilitant les échéances des crédits, ont énormément gagné. Dans une période aussi sensible que celle-ci, la communication demande à être manipulée avec beaucoup de précaution. Et ce sera encore plus compliqué désormais. Derrière le comportement des individus, il y a bon nombre de paradoxes : on se pose des questions sur la surconsommation, on a envie d’un monde meilleur et en même temps on fait la queue pendant des heures chez McDo. Il va falloir que les marques prennent le temps de comprendre cette complexité pour trouver le ton juste et le dispositif efficace. Des insights plus poussés, des études et analyses de professionnels des sciences humaines seront nécessaires pour décoder ce qui se passe et sortir d’une vision de court terme. La précision et la justesse demandent beaucoup d’humilité.

En quoi consiste votre dispositif d’aide aux entrepreneurs et start-up qui subissent la crise ?

Cette initiative est née justement du fait que beaucoup trop de communicants tiennent des propos assez affirmatifs voire dogmatiques sur ce que sera demain et sur ce qu’il faudra faire. Chez Belle, nous pensons au contraire que cela demande beaucoup d’introspection, de doute et d’humilité. Belle est assez proche des entrepreneurs et des start-up. Nous avons conscience des difficultés que cette crise inflige. Plutôt que d’écrire des tribunes, nous avons eu envie de mettre notre énergie au service des autres, à notre petite échelle. Cela peut prendre des formes très différentes, parfois il suffit d’une discussion un peu plus approfondie pour identifier ce que peut composer un plan d’action de relance, une démarche branding ou une campagne. En bref, nous offrons gratuitement du conseil ou de la création dans la limite des capacités de notre équipe d’une quinzaine de professionnels.

Quels retours avez-vous déjà sur cette initiative, quels problématiques, quels enjeux vous ont été soumis ?

C’est encore très récent. Nous venons de clôturer la réception des dossiers et nous avons vite été débordés par le nombre de demandes. Certains s’interrogent comment faire revenir leurs clients en magasin, d’autres cherchent la bonne idée pour rassurer les gens, d’autres encore ont mis au point de nouveaux services qu’il faut pouvoir médiatiser. Ce sont des acteurs du sport, de la restauration, de la distribution hors alimentaire, des musées et des prestataires travaillant pour ces secteurs. Ce sont aussi des start-up qui étaient en phase de lancement ou de levée de fonds.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Les marques vont devoir se réorganiser tout en gérant le très court terme. Elles devront se poser des questions structurelles et profondes touchant à leur modèle économique, à leur système de création de valeur, à leur tonalité, à leur personnalité. Elles seront donc confrontées à deux temporalités. Ce sera une réalité assez complexe à saisir faite plus d’interrogations que de certitudes.

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre.