Le storytelling fait place au prooftelling 

Pour Nicolas Huberman (Story for Brands), le discours de marque doit désormais s’appuyer sur un « storytelling 2.0 » qui se base davantage sur les faits.
Et cela ne s’improvise pas.

Selon vous le storytelling est mort. Que devient le contenu de marque aujourd’hui ?

Le contenu de marque se réinvente dans le contexte actuel de changement de paradigme : une évolution est bel et bien en route avec de nouveaux concepts occupant le devant de la scène.
Prenons d’abord le storytelling qui disparaît totalement ou alors renaît sous une autre forme, plus enrichie. Le storytelling comme nous le connaissons depuis des années (« raconter des histoires aux consommateurs ») n’a plus sa place dans les stratégies marketing. Les consommateurs veulent faire partie de l’Histoire (avec un grand H), et même l’écrire aux côtés de la marque.
C’est pourquoi j’insiste sur l’importance du « storyliving » (faire vivre des histoires) et du « storymaking » (contribuer à faire l’histoire). Ces deux concepts favorisent la cocréation, les expériences plus sensorielles, l’interactivité… tant dans les contenus de marque que dans les stratégies plus globales.
Enfin, un troisième concept vient remplacer (ou enrichir) le storytelling : le « prooftelling ». Les discours de marque laissent désormais place à un storytelling 2.0, qui se base davantage sur les faits. Les consommateurs souhaitent plus de preuves et moins de paroles en l’air. Les actions, les résultats, les engagements, la preuve sociale… répondent véritablement à leurs attentes.

Nicolas Huberman
Fondateur
Story for Brands

Comment éviter que le prooftelling et que les engagements pris sonnent faux ?

Depuis des années, on déplore certaines limites de la « communication responsable » ou de toute autre action marketing qui prône des engagements. Le greenwashing en fait partie et contribue à véhiculer une image trompeuse de la responsabilité écologique. Les consommateurs n’hésitent plus à dénoncer ces pratiques, sur les réseaux sociaux et grâce au bouche-à-oreille. Face aux risques de cette viralité, l’attention des marques est redoublée en interne.
Pour éviter les bad buzz, les marques doivent disposer de preuves fiables, précises et concrètes à valoriser. Il leur faut également aligner le fond et la forme de leurs contenus « prooftelling » : en 2022, on ne peut plus prôner des engagements avec un discours moralisateur ou prendre à la rigolade les questions environnementales, sociales ou sociétales.
Il leur faut également renforcer la culture d’entreprise en interne, en veillant à ce que les actions soient d’abord pleinement adoptées en interne. Ces actions de prooftelling doivent composer une stratégie de long terme, l’idée n’étant pas de créer le « coup de com » du siècle, puis de disparaître. Enfin, la marque doit se placer dans une logique d’échange constant avec son audience : le content marketing est une opportunité en or pour tisser des relations solides avec son audience.

Observez-vous une convergence entre les paroles les actes ?

Les marques sont nombreuses à avoir compris que le storytelling ne suffit plus… même si les start-up et les DNVB [digital native vertical brands, N.D.L.R.] semblent avoir de l’avance en la matière. Dans certains secteurs, quelques « grands » acteurs ont encore du chemin à faire et de l’inspiration à puiser auprès de plus petites entreprises, agiles et véritablement engagées… Mais j’ai bon espoir que les actes et les paroles s’allient enfin, pour toutes les entreprises.
La viralité des réseaux sociaux, la possibilité d’agir en live et toutes les formes d’interaction possibles avec les internautes facilitent l’apport de « preuves » online et offline. Dans ce contexte, les entreprises BtoB et BtoC associent de mieux en mieux les discours marketing et les actions concrètes.

Pouvez-vous nous donner des exemples réussis de « storymaking » ?

La clé du storymaking, c’est de coconstruire une histoire forte, où l’action est au cœur des expériences clients. Les consommateurs deviennent alors des consomm’Acteurs. Par exemple, ils peuvent donner vie au storymaking grâce aux user generated contents (UGC), ces contenus créés par les utilisateurs.
Sur TikTok, Lipton a voulu sensibiliser la génération Z au recyclage. La marque a lancé le #LiptonGenerationTri, et les internautes ont été incités à partager en vidéo leur manière la plus créative de recycler une bouteille ou un déchet. Résultats : plus de 110 000 vidéos, 290 millions de vues et 14 % de taux d’engagement, grâce aux UGC.
De son côté, HelloFresh fédère toute une communauté de consommateurs gourmands sur Instagram. Ces derniers participent activement à cocréer l’Histoire de la marque et la faire rayonner, en partageant des contenus photos des repas concoctés grâce à HelloFresh. Plus de 932 000 publications sur le #HelloFresh en témoignent.
Enfin, on pourrait aussi citer Prada, qui casse les codes du storytelling traditionnel. Avec Prada Sky Experience, la marque propose un concept de storymaking immersif : les internautes sont incités à plonger dans un clip vidéo immersif et à ressentir des sensations fortes grâce à la réalité virtuelle.
Avec toutes ces expériences de marque, les consommateurs ne sont plus des spectateurs passifs, à qui on raconte une histoire. Ce sont des Consomm’Acteurs (pro)actifs, qui coécrivent et vivent l’Histoire avec la marque.

Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre