Stratégie éditoriale : analyses de Pascal Somarriba

Pour illustrer l’importance de la stratégie éditoriale, j’ai invité  Pascal Somarriba  à présenter en live sa méthodologie et à l’illustrer par des exemples. 

Voici ci-dessous la vidéo de notre échange et un article reprenant les idées clés :

Pascal Somarriba a développé sa méthode après avoir occupé pendant 15 ans des postes de directeur marketing dans des marques internationales (Benetton, Gap, Cerruti, T Mobile) et dans des groupes médias (MTV, 13 ème Rue, Canal+). Il a ensuite travaillé 15 ans comme consultant pour des marques internationales et médias (Fox, Lagardère, Arte, France TV, Canal, MSN, Bein Sport, Eurosport…) Dans ces deux environnements, il a fait face à la même question cruciale : comment définir la stratégie de la marque et se positionner par rapport à la concurrence ? 

Son constat est clair : la majorité des médias et des marques ont tendance à développer une offre basée des contenus existants. Cependant, créer une singularité nécessite de diffuser ce qui n’existe pas encore. Pascal Somarriba a développé des outils pour aider les médias à identifier des opportunités de créer des contenus nouveaux, en se basant sur les formes d’expression et les thèmes évoqués par les consommateurs. 

Le but est de rompre avec les contenus tactiques (qui se concentrent sur des objectifs économiques ou des cibles particulières) ou opportunistes (qui exploitent une occasion sans vision claire de ce qu’elle produira), nuisant à la cohérence de la marque. 

En homogénéisant leur contenu vers une identité différenciée, en appliquant la stratégie dite du « content brand », les marques et médias :

  • Génèrent des revenus très importants, remplissent des objectifs économiques stratégiques
  • Dotent leur marque d’une véritable singularité, la rendent immédiatement reconnaissable

Ainsi, la méthodologie de Pascal Somarriba s’adresse à deux types de groupe : 

  • L’entreprise qui a publié beaucoup de contenus incohérents et cherche à définir une ligne claire pour le futur
  • L’entreprise qui démarre la mise en place de contenus et veut les inscrire dans le long terme

Elle repose sur une grille d’analyse détaillée dans la vidéo et ci-dessous :

La mission éditoriale doit être un objectif réalisable mais ambitieux, répondant à l’intérêt du public extérieur. Sa définition nécessite de dépasser son propre point de vue, car beaucoup de marques surestiment l’intérêt de leurs actions pour le public. Une mission de marque et éditoriale alignée et ambitieuse est par exemple : « On va augmenter le nombre de sportifs de X à Y% de la population. » Évidemment elle n’est pertinente que pour un groupe puissant comme Décathlon qui de fait augmente les sportifs et pratiques sportives en rendant les équipements accessibles mais aussi à travers toute une série de productions éditoriales et de services. Ce genre de mission présente l’avantage de donner un sens à l’entreprise et à la démarche éditoriale (de santé publique, de plaisir, d’estime de soi, d’initiation et progression dans la discipline etc.)

 

La définition du périmètre nécessite de trouver un équilibre entre toucher un large public et aller en profondeur. Moins une marque est puissante, plus elle gagne à travailler en profondeur, pour briller et se différencier. Par exemple, en remplaçant « on va parler du jardinage » par « on va apprendre et faire aimer le jardinage sur les terrasses »aux urbains créatifs.

 

Le positionnement éditorial est composé de deux choses : de quoi on va parler et comment on va en parler. Il s’agit de dire « on aimerait attirer une cible particulière, en développant des contenus qui sont à la fois pertinents pour nous et intéressants pour elle ». 

 

Définir les bénéfices des contenus pour une marque permet de partir des besoins du groupe pour trouver des opportunités cohérentes et intéressantes. 

 

Les piliers et sous-piliers sont par exemple le sport, soutenu par la natation, le football et le rugby, avec des poids éditoriaux et de perception pour les publics plus ou moins importants. Il s’agit de développer des contenus intéressants pour chaque sous-pilier, tout en restant cohérent avec l’ensemble du pilier. TF1 adopte par exemple une approche plus supportrice des équipes françaises, et Canal + une approche plus experte donc forcément moins partisane. Les médias ont en général 3 à 6 piliers, avec 2 à 5 sous-piliers chacun. Cependant un groupe souhaitant travailler en profondeur peut se concentrer sur un pilier unique, soutenu par de nombreux sous-piliers, et une PME sur un seul sous-pilier pointu.

 

Le ciment est antécédent au travail sur les piliers, sous-piliers et les approches. Il s’agit de la culture d’une marque : sa façon de s’exprimer, ses valeurs. Il prévient contre le risque de nuire à l’identité de la marque en voulant la moduler pour plaire à une cible particulière, phénomène qui va en s’accélérant dans la démarche d’optimisation et d’adaptation aux algorithmes. 

L’ensemble repose sur un équilibre entre singularité et attractivité, pour se différencier tout en restant attractif pour le public cible.

Les piliers identifiés grâce aux étapes précédentes sont choisis pour

  • leur pertinence, leur capacité à être mis en place, à générer des bénéfices et leur cohérence ;
  • leur originalité, pour participer à la singularité de la marque ;
  • leur attractivité, notamment pour les cibles potentielles ;
  • leur utilité, de plus en plus forte par rapport au divertissement (notamment depuis la crise sanitaire). Raphaël Lellouche parle notamment de notion perlocutoire du contenu, quand celui-ci peut facilement être mis en œuvre par les consommateurs. Ils éprouvent alors une réelle gratitude envers le média ;
  • leur générativité, leur capacité à intéresser les éditeurs et à avoir une profondeur dans le temps.

Effectuer tout ce processus en groupe permet à la fois de puiser dans les savoirs, les passions, et l’intelligence collective, tout en alignant et intégrant les équipes à la définition de leur travail. Cette démarche les éclaire et les motive profondément.

 

Moulinex, une mission éditoriale claire avec un ciment en 5 familles de mots clés

Moulinex est un groupe complexe, qui définit son orientation par des catégories de mots clés précises. Cette économie lui permet d’avoir une direction claire et distinctive.

Mission éditoriale : « encourager et accompagner une alimentaire faite maison, saine et savoureuse au quotidien »

Ciment : basé sur 5 familles de mots clés « plaisir, convivialité, générosité », « familial, quotidien, optimiste », « serviciel, astucieux, ingénieux », « simplicité, practicité, accessibilité », « innovation, performance, efficacité »

 

Il est crucial de ne pas mélanger les éléments de la culture d’entreprise et ceux de son positionnement éditorial, qui ont chacun leur propre cohérence. Des attributs de la marque peuvent être traduits dans le territoire éditorial, par exemple en convertissant la fiabilité par le fait de vérifier au maximum que ce que l’on dit est vrai. Cependant, il faut faire attention à ce que le positionnement éditorial reste cohérent clair, inspirant et surtout fertile pour la production éditoriale.

 

Havana Club, le pilier de culture cubaine nourrit la singularité des piliers du savoir-faire et des usages

L’analyse de sa stratégie éditoriale met en lumière :

  • un pilier produit et savoir-faire, basé sur les acteurs et la méthode de production
  • un pilier produits et leur dégustation, reposant notamment sur la mixologie
  • un superpilier culture cubaine, reposant sur la musique, les arts visuels, le cinéma… de ce pays, mais aussi l’histoire de la marque

La mise en valeur de la production et des produits ne se démarque pas en soi de l’approche de la plupart des marques de spiritueux, mais le pilier culturel apporte une véritable singularité à la marque et donne une cohérence aux autres piliers. C’est un territoire très riche en formes d’expression (danse, fête, arts…), attractif (sensuel festif) et actionnable (à travers des collaborations avec des artistes).

Ainsi la singularité émane du fait que le grand pilier de la culture vibrante, créative et colorée de Cuba domine les piliers d’usage et de savoir-faire, pour en faire des sous-piliers irradiés par cet axe éditorial original.

Pour résumer il est :

  • pertinent avec l’univers du rhum
  • original, c’est un territoire qu’aucune autre marque n’a exploité dans cette mesure
  • attractif, il évoque un univers sensuel, festif et joyeux et confère une dimension authentique aux produits
  • utile car les consommateurs découvrent la culture cubaine
  • génératif par le fait que des artistes se révèlent chaque jour à Cuba

Il permet donc à Havana Club de se différencier profondément et pertinemment.

 

Uniqlo, le choix singulier de l’intemporel dans l’entrée de gamme

Ecosystème uniqlo

Uniqlo intègre dans sa stratégie éditoriale l’idée que les Occidentaux ont du Japon comme un pays de technologie fiable. L’entreprise se différencie des marques comme H&M en associant ses produits d’entrée de gamme à l’intemporalité et la qualité comme fiabilité et durabilité mais aussi technicité. Ce discours résonne avec les enjeux écologiques actuels. Il est cohérent avec le choix de prendre Roger Federer, à la fois d’une grande fiabilité et élégance intemporelle et représentant une forme de zen et souci d’harmonie profondément japonais.

Louis Vuitton, l’accent sur le voyageur comme individu unique

Louis Vuitton

Louis Vuitton se différencie en travaillant sur le voyage individualisé, le « journey », qui au-delà d’un voyage est un parcours de vie. La marque souligne ainsi la singularité de ses consommateurs, avec leurs passions et leurs désirs propres, ce qui est l’essence du luxe, mais en leur donnant une profondeur philosophique notamment à travers les personnalités de divers horizons comme porte-paroles et porteurs d’existence de « life journey » de la marque.

Elle donne une cohérence à son identité, en faisant référence à sa production de malles personnalisées, adaptées aux passions de leurs propriétaires.

Louis Vuitton se différencie en travaillant sur le voyage individualisé, le « journey », qui au-delà d’un voyage est un parcours de vie. La marque souligne ainsi la singularité de ses consommateurs, avec leurs passions et leurs désirs propres, ce qui est l’essence du luxe, mais en leur donnant une profondeur philosophique notamment à travers les personnalités de divers horizons comme porte-paroles et porteurs d’existence de « life journey » de la marque.

Elle donne une cohérence à son identité, en faisant référence à sa production de malles personnalisées, adaptées aux passions de leurs propriétaires.

Patagonia, singulière par sa mission écologique tenue dans le temps

Patagonia

Patagonia s’est différencié en prenant des positions très fermes sur l’écologie et le recyclage dans un contexte alors défavorable. Cette mission éditoriale ambitieuse fédère ses consommateurs et ses partenaires tels que les ONG : ils adhèrent ainsi fortement avec la marque. Contrairement à d’autres entreprises qui se sont détournées de leur direction sociale pour réduire les coûts, Patagonia a tenu cette ligne directice.

Elle est aujourd’hui largement reconnue comme légitime pour porter les engagements écologiques, un attribut dont bénéficient très peu de marques.

Pascal Somarriba est co-auteur de « Brand Content, les clés d’une stratégie éditoriale efficace et pérenne » : https://www.dunod.com/brand-content-decouvrez-ouvrage-daniel-bo

Le livre est sorti en juin 2020 en librairie (300 pages). Pour lire dès maintenant le premier chapitre en version pdf: https://medias.dunod.com/document/9782100808854/brand-content-blanc-Dunod.pdf

Pour recevoir un exemplaire du livre (offre réservée aux responsables du contenu chez l’annonceur / un exemplaire par société) : https://lnkd.in/gRgfk-2